Massif du Makay 2024 – Jour 2 : Beronono
Le jour se lève sur la rive du Mangoky. La première nuit sous tente s’est bien déroulée, la température de cette nuit fut confortable.
Dès 4h30, Jeerika le cuisinier fait résonner le bruit des marmites pour préparer le petit déjeuner et le pique-nique du déjeuner. Ca sera son horaire tout au long du trek. Nous plions les tentes, fermons nos sacs et allons déjeuner sur la natte installée au sol. Sur le bord du fleuve la vie s’anime : des pêcheurs préparent leurs pirogues, des femmes commencent la lessive, d’autres embarquent sur une grande pirogue pour aller sur l’autre rive. Des motos roulent dans l’eau et viennent déposer des colis à transborder. Une charrette à zébu alourdie de sacs de riz vient stationner en attendant de charger sa marchandise dans une pirogue. Il est 7 heures.
Aujourd’hui, encore une demie étape de route et ensuite début de la marche à pied.
Les chauffeurs grimpent les bagages sur le toit de la voiture pendant que Francis prépare la voiture. Nous devons mettre un grillage très fin devant le radiateur car les herbes hautes pourraient le percer. Puis il enlève le capot du snorkel (prise d’air) pour le remplacer par une bouteille plastique afin de ne pas le casser avec les branches. Les adeptes du 4×4 en France ne peuvent pas imaginer ce genre de préparation en roulant sur le bitume.
Nous partons, traversons la ville et nous retrouvons très vite sur la piste. Cette partie de tronçon est très peu empruntée par des véhicules. Il nous faudra 6 heures pour faire les 50 km qui séparent Beroroha de Beronono. La route est beaucoup plus difficile et nous oblige à descendre souvent du véhicule pour effectuer les franchissements. Parfois il faut tailler des branches d’arbres pour permettre à la voiture de passer.
Sur la route, nous passons près de nombreux villages : Vohimalaza, Ambalabe, Sotana… Tous ces villages sont identiques avec leurs cases en terre et toit de paille. Les villages semblent abandonnés, les habitants sont dans les champs. A Bemokarana, c’est le dernier point de connexion que nous trouverons avant la fin de notre périple. Je vais vivre un sevrage de connexion, plus de réseaux pendant 11 jours. J’avoue, on s’habitue très vite à ne plus avoir un téléphone en main. Quel bien être !
A la sortie d’un sous-bois, nous croisons deux 4×4. A leur bord une expédition de scientifiques malgaches et français conduite par Bernard Forgeot, un anthropologue de l’IRD (Institut de Recherche et de Développement) qui étudie depuis des années les Bara. Nous nous arrêtons pour discuter car notre guide les accompagne souvent dans leurs expéditions.
Après cette rencontre, nous reprenons la route. Nouvel arrêt pour cette fois déjeuner. Nous arrêtons la voiture au milieu de la piste sous l’ombre des arbres. Nous ne nous posons pas la question de savoir si nous encombrons la piste, les seules voitures repérées dans la région viennent de nous croiser donc nous ne dérangerons personne. J’en profite pour sortir ma cafetière italienne. Au moment où je veux la mettre en œuvre, un serpent s’approche et tourne autour de la cafetière : je me suis posé sur sa ligne de chasse, quelques secondes plus tard il dévore un crapaud. Je commence à allumer mon feu. Francis surpris par ma cafetière m’aide à allumer le feu, il souhaite également goûter au café. Il me dit « Tu es le premier client qui apporte sa cafetière et un café » et il rigole.
Nous franchissons pour la première fois la rivière Makay, nous vivrons auprès d’elle pendant plusieurs jours. Nous la traversons à pied, remonterons son cours d’eau, dormirons auprès d’elle, une vraie lune de miel avec cet affluent du Mangoky.
Beronono : nous apercevons les premières cases et entrons dans le village, terminus de notre trajet en 4×4. Dorénavant les pneus seront remplacés par nos semelles, le moteur de notre propulsion sera nos jambes et l’échappement de gasoil sera notre sueur. Un groupe d’hommes attend, ce sont les porteurs de notre trek. Ils sont jeunes, souriants, l’un d’eux évalue les sacs et les gones qui sont déchargés du véhicule, il répartit tout le matériel et l’alimentation de façon équilibrée. Au sol, 3 canards sont attachés. Ils feront, pendant un temps court, partie de notre aventure.
Francis réunit les six porteurs et leur explique l’itinéraire. Chacun charge les gones et essaye d’équilibrer le poids sur leurs épaules. Au cours de notre expédition nous aurons 3 équipes de porteurs différents. L’objectif est de donner du travail à un bon nombre d’habitants et également d’avoir des hommes et des femmes des villages proches de notre trajet. C’est un gage de sécurité pour ne pas être embêté par des dahalo (voleur de zébu).
Au dernier moment, Francis m’appelle et me demande si je veux acheter du toaka gasy (rhum local). Nous embarquons 2 litres : ce sera utile pour nos fins d’étapes et un remontant pour nos porteurs.
Notre colonne traverse le village, les enfants nous accompagnent et nous demandent « Comment tu t’appelles ? », les premiers et uniques mots pour essayer d’établir une relation. Brigitte qui m’accompagne se prend au jeu et commence un échange avec une fillette.
A la sortie du village, ce qui doit ressembler à une pépinière est implanté par l’association nature et évolution. A première vue on pense plus à dépotoir qu’à une pépinière, des sachets sont au sol en vrac. Je les invite à se rendre à Tsarasoa chez mon ami Gilles, s’ils souhaitent développer une vraie pépinière. J’ai discuté hier soir au bar avec le fondateur, son discours ne m’a pas vraiment convaincu sur l’objet de leur action dans la région.
Nous nous engouffrons dans une allée bordée d’arbres et arrivons devant notre premier passage à pied dans l’eau. Nous déchaussons et passons en mode chaussures aquatiques, nous ne les quitterons pas de l’après-midi. Nous allons traverser 6 fois la rivière Makay.
Nos porteurs sont déjà partis devant, le poids de leur chargement d’environ 25 à 30 kg ne les ralentit pas.
Nous croisons un homme âgé, Gaston, sur le chemin. Il porte un fusil dans une main et un famaky dans l’autre. Le fusil sert à se défendre des dahalo et le famaky (petite hachette) sert à tracer son chemin dans la végétation. Nous rencontrerons d’autres hommes jeunes et vieux sans arme mais avec un couteau dont la lame atteint parfois 30 centimètres.
Francis me raconte l’histoire de cet homme. Hélas je ne peux révéler ici son histoire pour garantir ma sécurité lors de mes prochains séjours. Sachez que c’est un dahalo… Et qu’il y a dans cette histoire du vol de zébu, des morts, des coutumes locales, de la prison et de la corruption…
Je suis dans la région de l’ethnie des Bara, c’est un peuple d’éleveur de zébu. Les Bara sont d’excellents gardiens de troupeau de zébu. Ils mettent à paître leurs animaux dans de vastes terrains familiaux et peuvent les retrouver facilement. Il y a une tradition de longue date au sein de cette ethnie ; l’homme pour conquérir sa femme doit voler un zébu, il doit vaincre ses peurs car il peut en mourir. C’est un rite initiatique qui s’est transformé par la suite en apport économique en développant le vol de zébu. Nous pourrions donc très hâtivement conclure que tous les Bara sont des dahalo ? …
Après la première traversée de la rivière, nous pénétrons dans une forêt de bambous et de roseaux. Notre guide ouvre la voie avec sa machette pour faire le chemin. C’est notre première approche du Makay. Déjà les fines feuilles de bambous lacèrent nos jambes et nos bras. Leur hauteur ne permet pas de voir l’horizon, nous devons nous suivre de près car sinon nous pourrions perdre la piste et nous faire avaler par cette forêt.
Les traversées de rivière sont un répit dans cette jungle. La rivière est assez large, 20 à 30 mètres, la température de l’eau est douce et nous arrive au mollet. Nous remontons le courant, qui a un faible débit à cet endroit.
Nous rencontrons un groupe d’hommes pas loin du village de Morafeno, ils nous informent qu’il y a ce soir une fête Bilo au village. C’est une tradition locale, orchestrée par le chaman. Une personne demande son aide pour des soins ou un vœu. Le chaman détermine une période où la personne doit vivre ou consommer des plantes et à l’issue la guérison est obtenue dans ce cas l’on fait la fête pour remercier les ancêtres de leur intercession. Celle-ci se déroule avec de la musique, des danses, des chants et de la consommation de rhum local.
Après un nouveau passage dans l’eau, nous marchons dans le lit de la rivière, c’est la découverte pour nous de la marche dans le sable. Pour ces premiers pas, rien de pénible, c’est au cours du trek que nous allons découvrir que marcher dans le sable est assez fatiguant. Le lit de la rivière est bordé d’arbres et nous apporte de l’ombre. Nous approchons du massif du Makay. Francis nous montre une grande paroi qu’il définit comme l’entrée du massif : enfin l’aventure commence.
Le jour disparaît très vite dans le Makay car le soleil est caché par les montagnes et rend les canyons sombres dès 17h.
Après 3 heures de marche, nous arrivons au lieu de bivouac de nuit. Nous entrons dans le campement sous les applaudissements des porteurs. Nos tentes sont montées et Jeerika nous invite à venir boire un thé au gingembre citron. Un feu est allumé près de notre natte pour apporter un peu de chaleur.
Nous ferons notre premier dîner sous une voûte étoilée. Au menu : soupe de légumes, canard avec du riz et une banane au chocolat.