Massif du Makay 2024 – Jour 3
3ième jour
Le soleil se reflète sur la muraille de roches juste derrière nous, apportant une lumière chaude dès le matin. La journée d’hier a laissé quelques courbatures, le réveil du corps est difficile, peut-être faut-il faire un dérouillage matinal ? Je faisais cela quand j’étais jeune un peu de gymnastique pour assouplir les membres du corps
Après un bon petit déjeuner nous quittons notre bivouac d’Ambabaky, quelques porteurs au cours de la nuit sont partis faire la fête du Bilo dans le village à 3 km de là. Qu’importe ce matin ils sont là frais et dispo pour prendre la route et les bagages. Ils empruntent une partie de notre itinéraire et ils prennent des raccourcis à flanc de colline. Ils sont habitués à parcourir des kilomètres chaque jour, j’imagine leur réflexion dans leur tête quand ils nous voient peiner dans des collines, se dire « ces vaza (étranger) ils ne savent pas marcher sur nos terres ! »
L’eau est déjà chaude, lorsque je mets les pieds dans la rivière dès 7h30. Ce matin notre parcours nous oblige à traverser onze fois la rivière Makay, petite traversée, grande traversée nous serons confrontés à tout, de l’eau jusqu’aux chevilles ou de l’eau jusqu’aux genoux, des forêts de bambous où il faut à nouveau faire la trace. Nous sommes le premier groupe de l’année à parcourir ce secteur et depuis novembre dernier la végétation a repris sa place. Nous aurons l’occasion de le découvrir plus tard dans des canyons obstrués par des arbres et des rochers. Pour le moment nous avançons, nous marchons sur le sable du bord de la rivière, les bambous disparaissent peu à peu pour laisser une autre végétation prendre place des arbres et arbustes, les couleurs offrent un beau contraste, entre les différents verts des feuilles des arbres et l’ocre nuancé par les ombres de la roche.
Le canyon est composé géologiquement de grès de la période du jurassique (-201 à -140 millions d’années) formant un relief en forme de rainures, de fentes très érodées.
Sur le sable je vois passer un petit caméléon vert à la démarche prudente, le pas indécis et saccadé pour avancer. Son pas donne l’impression qu’il teste le sol avant de le poser complètement et de rapporter les autres pas, c’est rythmé comme une danse.
Je compte les passages dans l’eau et espère arriver au bout des onze traversées. « 8 de franchies, encore 3 traversées » me dit le guide. Le canyon se rétrécit formant des murailles qui se referment sur nous, dans la rivière le débit augmente un peu et l’eau monte de plus en plus.
Sur la berge ensablée nous trouvons différents arbres, comme le goavy, qui a des fruits rond de la taille d’une balle de tennis de couleur verte avec des points jaunes, on extrait de la sève des branches qui est collante, les autochtones s’en servent pour attraper les oiseaux, ils en étalent sur la branche et l’oiseau se colle dessus, c’est une des méthodes de chasse ici. Celle-ci reste traditionnelle, les enfants et adultes chassent avec un lance pierre, d’autres avec une sagaie, le fusil n’est pas utilisé, c’est une arme de défense, pas de chasse.
Enfin, l’ultime traversée de la rivière pour cette matinée. En face de nous s’érige une colline qui donne sur les plateaux du massif du Makay. En observant la colline, nous voyons une grotte, nous montons la découvrir. C’est la grotte Misoakotsy, un renfoncement dans la roche ouverte sur toute sa longueur, en hauteur elle a une vue sur la vallée. Elle a accueilli, il y a plusieurs centaines d’années des membres de l’ethnie Sakalava, un groupe, une famille, difficile de déterminer. Dans les murs, des trous ont été creusés pour insérer des rondins sur lesquels ils faisaient sécher la viande, dans un rocher au sol d’autres trous qui devaient servir de pilon, d’après les propos de notre guide. Sur les murs, des peintures rupestres qui datent du VIIe au XXe siècle. On trouve des représentations de zébus sauvages, des carrés avec plusieurs couleurs, difficile de comprendre la signification. Certains sont peints en rouge, en blanc et en noir. Il y a plusieurs grottes de ce type dans le Makay. Nous profitons de cet ancien habitat pour faire une pause et rechausser nos godasses car maintenant nous allons parcourir les crêtes et voir le massif du Makay depuis les hauteurs.
Nous montons pour atteindre le haut du plateau, le sol est rocailleux et sableux, la végétation est éparse, l’herbe jaune pousse par petite touffe, de part et d’autre nous trouvons différentes plantes. Francis nous explique l’utilisation de chacune, par exemple cette plante vert clair, qui produit une sève qui sert de poison, il l’appelle la « plante de la belle mère ! » je n’obtiendrai pas le nom exact mais une explication anecdotique sur l’origine de l’appellation, la belle-mère d’une famille trouvant que sa belle-fille n’était pas bonne car elle ne travaillait pas, fut empoisonnée par cette plante.
Nous sommes sur le plateau et la vue est impressionnante. Un relief fait de collines et de monts séparé par une multitude rivières, de haut c’est un vrai labyrinthe, un enchevêtrement de vallées qui se recoupent les unes et les autres. L’érosion a donné une forme arrondie à tout le massif. Au loin un plateau plus haut se dégage.
Nous marchons sur la roche friable et parsemée de cailloux ronds, le vent nous apporte un peu d’air car la chaleur est de plus de 25 degrés, je n’ai pas de thermomètre pour préciser. Nous arrivons dans une aire où se trouvent quelques bosquets. Francis nous montre une plante grimpante qui se faufile sur les branches d’un arbuste, ces racines telles des branches de lierre chez nous ont des petites feuilles jaunes ou vertes. C’est le babo, un tubercule qui pousse au pied des arbres, les Bara l’utilisent pour s’hydrater car elle restitue beaucoup d’eau. Avant il faut la déterrer, il faut suivre la racine pour déterminer d’où elle vient dans la terre, puis avec la paume de la main on frappe le sol pour percevoir une résonnance dans le sol, j’avoue ce n’est pas vraiment perceptible, mais je n’ai pas l’oreille d’un Bara. Puis on creuse le sol profondément pour sortir le tubercule marron à la chair blanche. Hélas, ce jour-là Francis creusera profondément et nous ne trouverons pas notre babo, nous nous désaltérons avec nous gourdes. En poursuivant le chemin, je vois quelques trous similaires à celui creusé par Francis.
Nous reprenons notre marche sur ce plateau, dans la végétation il y a une plante désagréable et qui nous oblige à quelques précautions et équipement adapté. Dans les touffes d’herbe une plante avec des épines fines pousse au milieu, elle est appelée : Karibo, elle prend la couleur de la végétation et donc on la voit au dernier moment. Ses épines s’accrochent à vous et s’enfoncent dans la peau, c’est pourquoi je marche en pantalon en permanence afin de ne pas avoir les jambes lacérées.
Nous poursuivons notre chemin, ce terme n’est pas approprié car nous ne suivons pas un chemin nous allons d’un repère au loin à un autre, un rocher est notre amer comme en mer. J’ai l’impression de marcher à la boussole sans boussole, tout droit vers un cap. Parfois des cairns sont posés, c’est des repères ponctuels.
Nous débouchons dans un lit de rivière, je m’habitue à la marche dans le sable, le pas s’enfonce et demande plus d’effort car le pied ne rebondit pas pour s’élancer vers un autre pas, dans le sable le pied n’a pas d’appui il faut donc redoubler de force pour avancer. A cela, il faut ajouter la chaleur car le lit est exposé au soleil et à la réverbération du sable blanc qui augmente cette chaleur. Nous suivons les méandres de ces rivières formées par le temps asséchées définitivement ou partiellement car pour certaines la saison des pluies de janvier à mars leur redonne vie.
Alors que je rêvassais en marchant dans le lit de la rivière Mahamoky May sur son sable blanc, ma rêverie fut interrompue quand nous arrivons devant une rivière plus importante la Mazaydrano. Là, plus question de sable, d’eau à hauteur des chevilles, je suis devant une rivière à fort débit d’ailleurs nous ne la rencontrerons pas car il serait difficile de marcher à contre courant, nous ne la traversons pas non plus comme nous l’avons fait dans d’autres rivières, nous allons juste la descendre sur 800 mètres.
Francis, machette à la main, s’engage le premier, il faut tailler les bambous sur la berge pour accéder, puis il descend et il a de l’eau jusqu’à mi-cuisse. J’évalue la situation si Francis a de l’eau à mi-cuisse avec son mètre quatre-vingt-cinq moi je vais avoir de l’eau jusqu’ à la ceinture avec mon mètre soixante-dix ! A ce moment-là résonne en moi un vieux refrain d’une chanson que j’écoutais dans les années 70, de Gream Alwrith « on en avait jusqu’à la ceinture et le vieux *** disait d’avancer…»
Ici, pas de capitaine, pour nous faire avancer juste, Francis connaissant bien son terrain pour nous ouvrir la voie. Nous allons descendre cette rivière ou plutôt elle va nous pousser sur la longueur de notre parcours. A chaque pas, il faut faire attention car on ne voit pas le sol et parfois il y a des trous, notre guide manie la machette avec dextérité. Parfois, je sens des bambous ou des branches frôler mon corps. Un arbre est tombé en travers de la rivière, il faut s’abaisser en gardant son équilibre. Dans cette aventure, il y a un point positif: l’eau est chaude, ce qui est plus agréable surtout quand « on avait en jusqu’à la ceinture… »
Nous regagnons la berge après cette épopée nautique et nous poursuivons notre chemin et remontons sur les collines où nous pouvons admirer le coucher du soleil. Nous voyons au loin les différentes montagnes au loin s’orner de tons rosés, faisant apparaître un dégradé de couleurs selon la nature de la roche.
Le soleil couché, nous redescendons la montagne, où deux porteurs viennent à notre rencontre, nous sommes encore à 1 heure du campement ils viennent pour nous aider et ouvrir le chemin de nuit.
Nous entrons dans le lit d’une rivière et nous faufilons entre les arbres. Pour ma part je ne vois rien, c’est mon handicap la nuit, je suis un porteur qui crée un point lumineux avec la lumière de son petit téléphone. A 500m de notre campement nous devons déchausser pour dernière traversée de rivière de la journée et terminons notre marche sur du sable.
Nous atteindrons notre lieu de bivouac Beravitsazo au bord de la rivière Makay, avec toujours les applaudissements de notre équipe de porteurs pour notre accueil. Nous retrouvons nos tentes déjà montées et un thé chaud qui nous attend.
Après le repas, vers 20h je vais dormir…