Massif du Makay – jour 9
9ième jour
Certains pensent qu’en randonnée les jours se ressemblent et se répètent, la monotonie de la marche développe l’ennuie. Qu’est-ce que l’on peut vivre de différent chaque jour ?
Je peux témoigner que chaque journée de marche est un autre jour, mon esprit, ma condition physique et les évènements me font aborder les étapes autrement. L’atmosphère, les paysages changent bien que je ne voie pas de modifications immédiates avec le rythme de mon pas. En portant mon attention, je vois la nature et l’environnement différemment. Je découvre que d’un kilomètre à l’autre le chemin change. Cela nécessite de regarder et de trouver par exemple ce qui singularise ces rivières que je parcours tous les matins, celle-ci à plus de végétation, cet autre plus ensablée ou bien elle a un débit plus fort ou encore des bassins se forment dans les cavités de la roche… Tout est différent et unique. Chaque vue est devenue un étonnement, les couleurs de la roche changent, la végétation est plus ou moins verdoyante, l’eau n’a pas la même clarté…
L’effort physique à fournir selon le terrain et ma condition sera plus ou moins fatiguant. La marche pour moi est un moment de plaisir et doit le rester même dans des situations difficiles. Combien de fois le matin au départ, je dois oublier mes douleurs ; un mal au pieds, aux jambes, un mal au dos car le sol était dur cette nuit, des courbatures car j’ai eu froid la nuit. C’est un peu une méthode Coué, se dire que chaque jour est un dépassement de soi et un émerveillement. C’est une résilience, oublier les difficultés rencontrées auparavant et poursuivre son chemin. Chaque jour de marche est une renaissance.
Après 8 jours de marche, tout a disparu, mon corps et mon esprit se sont régénérés et c’est l’envie d’aller plus loin qui m’anime. Voilà pourquoi en ce 8ième jour de marche (j’ai décompté le trajet en voiture, bien qu’il ait été physique) j’apprécie ce départ de l’étape du jour. Pour moi, elle me transporte dans une nouvelle aventure. Peut-être qu’elle vous paraitra peut-être monotone, insignifiante ?
Ce matin, nous remontons la rivière Bevoay recouverte de sable blanc. Le lit de la rivière est large, quelques arbres bordent les côtés, des murailles de roches l’encadrent. Elles sont d’inégales altitudes, petites falaises se prolongeant en colline ou murs verticales. Le teint rosé de la pierre les rend plus douces et moins agressives.
Je suis incapable d’estimer le pourcentage d’inclinaison de la rivière, je peux juste dire qu’il y en a une et je vais la remonter toute la matinée et marcher longtemps dans ce lit. La chaleur accentuée par la réverbération du soleil sur le sable blanc est épuisante. Ce matin, je suis comme sur un voilier sur la mer, je vais tirer des bords de chaque côté ombragé de la rivière, rechercher la fraicheur, me diriger vers l’arbre qui m’offrira 30 secondes de répit et repartir marcher sous ce soleil. Chaque marcheur dans le groupe à son rythme et nous avons tous le même pas lourd dans ce sable.
A certain moment, la rivière se resserre pour former de nouveau des couloirs étroits, ceux-ci seront courts avant de retrouver l’espace de ses grandes surfaces de sables. J’imagine le mouvement de l’eau arrivant avec sa force contre les parois pour creuser la roche, s’engouffrant dans ces goulets.
Je remarque que Francis commence à marcher plus doucement, il ne semble pas aller bien, après l’accalmie d’hier sa crise de palud reprend. Au moment des pauses, il s’allonge, ne parle pas, il reprend du paracétamol. Plus tard, il demande à scinder l’équipe en deux, il sent qu’il ne peut pas marcher à la même cadence que nous. Il demande à Fabrice de rester avec lui. Par précaution ce matin au départ, il a demandé à Remby, un des porteurs de nous accompagner.
Nous ne pouvons pas faire grand-chose, je le laisse gérer sa situation, il est plus expérimenté et il est dans son pays. Nous partons avec Remby, ce porteur âgé d’une cinquantaine d’année, vêtu d’un short et d’un tee-shirt élimé, il porte un de nos sacs
De mon côté, je suis un peu préoccupé par l’état de santé de Francis et je suis impuissant, ici pas de médecin à moins de 2 jours de marche, pas de réseaux téléphoniques et encore moins de secours. Partir dans le Makay, c’est partir à l’aventure loin de tout, il faut en assumer les conséquences aussi bien pour Francis que pour moi. Je connais suffisamment le pays et les malgaches pour connaitre les ressources et la volonté qu’ils peuvent avoir pour maitriser une situation complexe. Ils trouveraient en cas de réelles difficultés tous les moyens pour apporter une réponse. C’est dans ce contexte que la situation bien que préoccupante, je sais qu’elle est maitrisée. Si la condition de Francis avait été dangereuses, je sais que Remby ne l’aurait pas laissé derrière nous. Nous avons soulagé Francis de son sac à dos, il pourra marcher à son rythme.
Nous poursuivons notre remontée de rivière pour arriver à son point culminant sur un plateau et retrouver les herbes hautes de la savane. Remby est très prévenant sur le chemin, il ne parle pas le français heureusement Ratsiry est resté avec nous pour être l’interprète. Notre guide porteur nous prévient dès qu’il y a un trou dans le sol ou que les plantes karibo croisent notre chemin, ce végétal qui incruste ses épines fines dans mon pantalon et ne se décroche pas. Lui et Ratsiry sont en short et semblent insensibles à cette plante. Nous traversons la savane pendant ¾ heure avant d’aller rejoindre une autre rivière, un affluent du fleuve Morondava que nous allons découvrir plus tard.
De nouveau ce sable blanc, la savane nous a offert un peu de répit face à la chaleur et grâce au vent qui soufflait sur le plateau. Sur le sable des troncs d’arbres décharnés, sans écorce et secs sont là plantés dans le sol tel des sculptures posées dans un des parcs de nos villes. Nous cheminons dans des bois, cette protection nous fait du bien. Pour le déjeuner nous nous adossons à une paroi qui nous procure un peu d’espace de fraicheur. Au moment où je fais chauffer mon café, je vois le pas lent de Francis avancer vers nous. Il restera là pour dormir un peu. Nous lui laissons un peu d’eau et partons pour poursuivre notre étape.
Difficiles d’apprécier l’étape du jour à sa juste valeur, s’étonner de la beauté du paysage dans ces conditions. Nous avançons à un bon rythme et descendons toujours cet affluent du fleuve. Nous mettrons une heure et demi avant d’arriver au bivouac.
Au détour d’une boucle, nous débouchons d’un goulet pour parvenir au fleuve Morondava, devant nous un campement avec de grandes tentes et une vingtaine de porteurs. Un autre groupe de 4 marcheurs font une étape au même endroit que nous.
Un peu plus loin, je vois nos tentes, la rivière offre plusieurs criques qui nous permettent de nous isoler. Je ne chercherai pas à rencontrer ces autres marcheurs… Peut-être qu’inconsciemment, je n’avais pas encore envie de retrouver des conversations éphémères et banals avec la civilisation.
En arrivant, Jerik me demande où est Francis, je lui indique qu’il est en arrière et lui demande d’envoyer à sa rencontre, deux porteurs avec de l’eau, pour l’accompagner et soulager Fabrice.
La fin de journée me permettra d’avoir du temps pour me reposer et œuvrer aux besognes quotidiennes d’un marcheur ; lessive, douche.
Nous dinerons sans Francis qui s’est couché dès son arrivé au bivouac.
Pour ma part, il est 20h30, je sens l’appel du duvet…